Vater Rhein, le dieu-fleuve du Rhin

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SoK
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Vater Rhein, le dieu-fleuve du Rhin

Message par SoK »

VATER RHEIN, LE DIEU-FLEUVE DU RHIN

Avant même que le peuple germanique des Alamans ne s'installe en Alsace il y a près de 1800 ans, le fleuve du Rhin était déjà honoré comme un dieu par les Gaulois puis les Gallo-romains. 6 inscriptions religieuses en latin sont connues tout le long de son parcours, de la source suisse à l'embouchure néerlandaise. Un autel du 2e siècle de l'ère chrétienne, trouvé à Strasbourg (à 4km du Rhin) et exposé au Musée Archéologique, est dédié "au Rhin-Père". Chez l'auteur romain Procope, le chef gaulois Viridomaros ("au grand courage") se vante d'être un descendant du Rhin.

Dans nos traditions germano-scandinaves, le Rhin est nommé plusieurs fois dans l'Edda poétique et dans la légendaire Völsunga saga. C'est là, après plusieurs meurtres causés par le désir de vengeance et de richesse, que sera finalement jeté l'or pris au dragon Fáfnir par le héros Sigurðr / Siegfried, pour le cacher à Atli / Attila, roi des Huns. Ce trésor maudit est nommé "der Nibelunge hort", le trésor des Nibelungen, en moyen-allemand dans le Lied vom Hürnen Seyfrid, et "Rheingold", l'or du Rhin, en allemand moderne dans les opéras de Wagner.

"Le Rhin rapide, connaissant les Ases,
Va régner sur le métal
De la querelle des princes,
L'héritage des Niflungar.
Dans l'eau qui tourbillonne
Luiront les bracelets des tués,
Plutôt que ne brille l'or
Dans les mains des enfants des Huns !"
(Atlakviða, 27, dans l'Edda poétique)

Dans la poésie scaldique, composée en Norvège et Islande pendant et après l'ère viking, le Rhin apparaît dans plusieurs métaphores (les "kenningar"), comme symbole de tous les fleuves :

* Le sang qui jaillit s'appelle "heit Rín valbasta", le Rhin chaud de la poignée des épées, et "Rín unda", le Rhin des blessures
* L'or est "rauðmalmr Rínar", le métal rouge du Rhin, "glóða Rínar", la braise du Rhin, "fagr bjartleygr Rínar", la belle flamme resplendissante du Rhin
* La bière qui coule dans le gosier est même appelée "jastrín", le Rhin de la levure !

Aujourd'hui, le groupe Alamannia de l'association Les Enfants d'Yggdrasill honore donc le Rhin comme un dieu local.
Gottfried Karlssohn, vice-président et responsable régional pour la France (hors-Alsace).

Mes articles sur les traditions germano-scandinaves sont sur Un Tiers Chemin.
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SoK
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Re: Vater Rhein, le dieu-fleuve du Rhin

Message par SoK »

Comme je suis tombé dans la spirale de la traduction, je mets celle de Boyer pour comparer et expliquer les différences.

"Le Rhin seul gardera
Le métal de discorde,
L'or venu des Ases,
L'héritage des Niflungar,
- Dans l'eau tourbillonante
Luisent les anneaux welches -
Plutôt que brille l'or
Sur les bras des enfants des Huns."
(strophe 29 de l'Atlakviða chez Boyer)

La division des strophes n'est pas toujours très nette dans le manuscrit, d'où les différences de numérotation.

Boyer attribue "venu des Ases" (áskunna, ce qui semble plus précisément être "connu des Ases" si on se base sur un dictionnaire, ou sur la traduction de Larrington pour les plus sceptiques) à l'or, mais l'adjectif est féminin et ne peut se rapporter qu'au Rhin (Rîn est féminin en vieux norrois). C'est aussi le cas pour l'adjectif "svinn" (rapide), qu'il ne traduit pas, pour la raison tout à fait justifiée que... eh bien on ne sait pas en fait, il n'y a aucune raison. Boyer n'est pas le seul à faire ce choix sur l'attribution de "áskunna", puisqu'il suit Thorpe et Larrington, mais eux, par contre, n'oublient pas "svinn" au passage.

Le terme "valbaugar", que je rends par "bracelets des tués", est traduit par Boyer en "anneaux welches". "Baugar" signifie plus précisément "bracelets", mais peut être utilisé de manière assez interchangeable pour parler d'anneaux, et cela ne change pas grand-chose. Là où les avis divergent le plus, c'est sur la significatif du préfixe "val-", qui peut avoir de nombreuses origines possibles et donc des sens tout à fait différents. Thorpe traduit par "the choice rings", sans qu'on ne sache trop à quel "choix" cela pourrait bien se rapporter, alors que Larrington traduit mystérieusement par "splendid rings".

La préférence de Boyer pour traduire par "welches" ("non-germains", "gaulois", "celtiques", "romains", terme qui est à l'origine du nom de la Vallachie roumaine jusqu'au Pays de Galles brittannique, en passant par les Wallons de Belgiques, et les Welches qui est le nom des habitants des vallées francophones du côté alsacien des Vosges) est linguistiquement possible. Le contexte historique et géographique du récit fait que la riche Gaule romaine n'est en effet pas bien loin du Rhin, et qu'on peut en effet facilement imaginer qu'on aille y piller de l'or. Le problème est que cet or, dans l'Edda poétique comme dans la Völsunga saga, vient de Fáfnir, un nain transformé en dragon, qui l'a volé à son père le nain Hreiðmarr, qui lui-même l'a reçu des dieux après que Loki l'ait volé au nain Andvari. Aucun welche, aucun "non-germain" là-dedans. Par contre, des tués (valr), il y en a un sacré paquet dans l'histoire de cet or, puisque ses six précédents propriétaires ont été assassinés ! C'est même justement la malédiction mortelle qui pèse sur cet or, prononcée par le nain Andvari, qui cause la succession tragique des évéments qui l'amène à finir au fond du Rhin. Et les mots composés en val- dans le sens de "tués" ne manquent pas, ils sont même la majorité par rapport aux autres où val- signifie "étranger", "choix", ou "faucon".

Au-delà des débats de traduction, l'usage de "svinn" pour désigner le Rhin, dans le sens de "rapide" qu'il a gardé dans les autres langues germaniques (par exemple jusqu'en allemand moderne, geschwind signifiant "rapide"), est un archaïsme qui va dans le sens d'une composition ancienne de l'Atlakviða, hypothèse également soutenue par d'autres données linguistiques qui le situent vers le 9e siècle, soit 5 siècles après la mort du Atli / Attila historique.

La présence du terme "áskunnr" (connu par les Ases) est également très intéressante, car c'est le seul endroit où il apparaît dans les textes qui ont été conservés... mais il est proche du terme "reginkunnr" (connu par les dieux-souverains), qui, dans les trois fois où il est attesté, désigne systématiquement et explicitement les runes, et est fortement associé à un contexte préchrétien :

1) Pierre runique suédoise de Noleby (Vg 63), en proto-norrois écrit en vieux futhark à 24 runes, donc daté des environs de l'an 600,
2) Pierre runique suédoise de Sparlösa (Vg 119), datée des environs de l'an 800 à cause de la forme de certaines runes qui évoque encore le vieux futhark,
3) Strophe 79 du Hávamál dans l'Edda poétique, qui recommande la silence à propos des runes, dont l'origine divine est explicitement affirmée.
Gottfried Karlssohn, vice-président et responsable régional pour la France (hors-Alsace).

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